Voici le journal de bord de dix jours de plongée dans les archives de la Biennale de Venise — la Mostra. L’historienne Morgan Lefeuvre raconte chaque journée d’une vingtaine de lignes, donnant des informations générales sur les fonds consultés et faisant chaque fois un rapide zoom sur un document ou une information saillante. Ce séjour dans les archives vénitiennes, rendu possible grâce au Cercle Jean Zay, a pour but d’enrichir notre connaissance de l’histoire des premières années du festival de Cannes et de ses rapports avec le grand festival concurrent de l’époque qu’était la Mostra. Morgan Lefeuvre effectue un travail d’analyse et de synthèse des 2684 documents d’archives photographiés, dont elle à livré les secrets lors du colloque Cannes 1939, rêver un festival.

 
 

GIORNO 00  // IL VIAGGIO

Lundi 28 janvier, je quitte l’aéroport de Nantes sous la pluie, direction Venise. Dans ma valise, l’équipement classique de la chercheuse en quête d’archives (ordinateur, appareil photo, documents de travail) auquel j’ajoute in extremis… mes bottes en caoutchouc ! La pêche aux archives peut s’avérer compliquée en hiver quand les rues de la ville se trouvent inondées par de brusques montées des eaux, mieux vaut être équipée.

Après deux heures de vol, le Lido puis la vieille ville apparaissent dans les brumes de la lagune. Quelque soit la saison et le moyen de locomotion choisi, l’arrivée à Venise est toujours un spectacle d’une beauté saisissante. Les fondateurs du festival de Cannes, visiteurs assidus de la Mostra, avaient d’ailleurs parfaitement compris que cet environnement exceptionnel et cet art de vivre vénitien avaient été des éléments déterminants dans le succès du festival italien. C’est cette alliance entre art cinématographique et art de vivre qu’ils tenteront de reconstituer en 1939 sur les rivages de la côte d’Azur.


GIORNO 01 // ARCHIVIO STORICO DELLA BIENNALE // 1932-1937 : LES BELLES ANNÉES DU CINÉMA FRANÇAIS À LA MOSTRA

Mardi 29 janvier : première journée de travail dans les archives de la Biennale. 

Installées au cœur du parc scientifique et technologique VEGA (à Porto Marghera, sur la terre ferme juste en face de la vieille ville), le centre de consultation des Archives Historiques des Arts Contemporains (ASAC) regroupe en un seul lieu toute l’histoire des différentes sections de la Biennale depuis sa fondation en 1895 : arts visuels, musique, théâtre, danse, architecture et cinéma. Les archives de la Mostra d’Arte Cinematografica, remontent quant à elles à 1932, date de la première édition et regroupent des fonds de différentes natures (affiches, photographies, périodiques, correspondance, documents comptables, etc…).

A mon arrivée dans la salle de recherche un chariot contenant 19 boîtes de la série « Cinema » m’attend déjà. La journée est consacrée à la consultation des boîtes 1 à 5, qui concernent les cinq premières éditions de la Mostra de 1932 à 1937 (de biennale, la mostra devient annuelle à partir de 1934). A travers ces documents de programmation, ces comptes-rendus de délibération, ces correspondances se dessine déjà le lien privilégié entretenu entre les représentants du cinéma français et les organisateurs de la Mostra. L’enthousiasme initial des responsables politiques français face à l’organisation de ce premier festival international d’art cinématographique se lit parfaitement à travers les lignes adressées par Georges Huisman au comte Volpi (président de la Biennale) en juillet 1934.

Parmi les trouvailles du jour : une lettre de Louis Lumière au même Volpi, datée du 10 juin 1932 dans laquelle il accepte de faire partie du comité d’honneur international de la Mostra. Sept ans plus tard, c’est au même Louis Lumière, inventeur du cinématographe, que le festival de Cannes naissant confiera la présidence d’honneur.


GIORNO 02 // ARCHIVIO STORICO DELLA BIENNALE // 1938-1939 : TENSIONS ET SCISSIONS. L’OMBRE DE CANNES SUR LA LAGUNE.

Mercredi 30 janvier : deuxième journée dans les archives de la Biennale. 

Le travail sur les fonds historiques de la série cinéma se poursuit avec les années 1938 et 1939. Au fur et à mesure que la Mostra prend de l’ampleur et s’installe dans le paysage cinématographique européen et mondial, la documentation s’enrichie, les sources deviennent plus abondantes. Avec les cartons consacrés aux années 1938 et 1939 on touche au cœur du sujet qui nous préoccupe : celui des liens entre la Mostra et le festival de Cannes. Les sources livrent des informations précieuses sur l’élaboration de la sélection des films français, sur la présence française à Venise en août 1939 ou sur les relations personnelles étroites qu’entretiennent les organisateurs de la Mostra et les représentants du cinéma français. Ces derniers, en particulier René Jeanne, Pierre Michaut et Georges Lourau, ne manquent d’ailleurs pas d’assurer Ottavio Croze le directeur de la Mostra de leur soutien indéfectible, en dépit des protestations soulevées par le palmarès de 1938 et des « rumeurs » concernant la création d’un festival concurrent à Biarritz ou à Cannes…

Parmi les trouvailles du jour : un bilan de la dernière édition de la Mostra, daté du 31 octobre 1939, dans lequel Ottavio Croze indique que la Biennale doit rester vigilante, que « La concurrence de Cannes n’est pas définitivement éliminée » et que Venise doit repenser son organisation en fonction d’une possible résurgence du projet cannois !


GIORNO 03 // ARCHIVIO STORICO DELLA BIENNALE // RETROUVER LE CHEMIN DE VENISE OU FAIRE RENAÎTRE LE RÊVE CANNOIS ?

Jeudi 31 janvier : troisième journée dans les archives de la Biennale. 

Cette 3ème journée est consacrée à l’exploration des boîtes relatives aux années sombres de l’histoire de la Mostra durant la guerre. Le projet d’une renaissance de Cannes est-il évoqué ? La France retrouve-t-elle le chemin de Venise sous l’Occupation ? Si les éditions 1940 et 1941 de la Mostra se font véritablement en vase clos au sein des pays de l’Axe avec une majorité de films italiens, allemands, espagnols et japonais, la correspondance avec les représentants français reprend durant l’hiver 1941-1942, dans l’espoir de voir le cinéma français retrouver une place de choix dans la programmation de la Mostra. Les archives contiennent une série de courriers très intéressants qui laissent entrevoir l’évolution de la politique cinématographique italienne et l’espoir des organisateurs de la Biennale de renouer au plus vite des liens étroits avec le cinéma français.

Si la France ne participe finalement pas à la Mostra de 1942, il s’en est fallu semble-t-il de peu et un courrier du 10 juillet 1942 adressé par Ottavio Croze à Giuseppe Vittorio Sampieri (représentant du cinéma italien à Paris) indique qu’à moins de 6 semaines du début des festivités, rien n’était encore tranché.


GIORNO 04 // BIBLIOTECA DELLA BIENNALE

Vendredi 1er février : Je suis réveillée par la sirène indiquant les acque alte. Deux notes prolongées, la seconde plus aigüe que la première : cela signifie que le niveau d’eau est supérieur à 120cm, une partie de la ville est inondée, les bottes s’imposent !

La salle de consultation des archives historiques étant fermées, je décide de me rendre à la bibliothèque de la Biennale, située à l’extrémité est du quartier Castello, dans le pavillon central des jardins de la Biennale. Edifié par l’architecte vénitien Enrico Trevisanato pour la première édition de 1895, ce pavillon abrite depuis 2010 les fonds imprimés des archives historiques, soit environ 151 000 ouvrages et 3 000 périodiques entièrement consacrés aux arts contemporains représentés à la Biennale dont le cinéma. Dans un cadre agréable, cette bibliothèque offre aux chercheurs et aux étudiants qui la fréquentent une source inépuisable d’informations sur les arts du XXe siècle en général et sur l’histoire de la Biennale en particulier. 

Cette 4ème journée est donc consacrée à la recherche d’essais, articles ou ouvrages scientifiques sur l’histoire de la Mostra. Les documents consultés laissent clairement apparaître la place de choix qu’y occupe le cinéma français dès la première édition de 1932 comme le montre l’affiche. Il est troublant de constater à quel point l’atmosphère qui se dégage des premières éditions de la Mostra rappellent les premières images du festival de Cannes où les projections et les discussions sur le cinéma alternent avec les événements mondains le tout dans une ambiance balnéaire où photographes et midinettes se croisent entre le bar de l’hôtel et les cabines de plages du Lido…


GIORNI 05-06 // SULLE TRACE DELLA MOSTRA…

Le week-end tous les centres d’archives sont fermés. J’en profite donc pour mettre de l’ordre dans mes notes, faire quelques lectures complémentaires, trier mes photos d’archives dont le nombre dépasse déjà les 1000 images…

Je profite également de ces deux jours de pause pour m’offrir une déambulation dans les quartiers de Venise que je connais mal : la Giudecca, le Lido, la pointe des Giardini della Biennale… sur les traces du passé cinématographique de la ville.

Située au sud de la ville, en face du sestiere Dorsoduro, l’île de la Giudecca n’est reliée à la ville par aucun pont. Quelques minutes de vaporetto suffisent à rejoindre l’île depuis les Zattere du Dorsoduro, l’atmosphère y est pourtant tout autre. Quartier résidentiel et industriel dominé par la façade imposante des anciens moulins Stucky reconvertis en hôtel de luxe. C’est à l’arrière de ce bâtiment de briques de style néogothique que fut installé en 1943 le Cinevillagio du régime fasciste agonisant. C’est également à cet endroit, au bord du rio delle convertite que la société Scalera (une des plus importantes société de production des années 1930 et 1940) avait installé des studios, dans lesquels plusieurs films français seront tournés après-guerre ; notamment Rocambole de Jacques de Baroncelli, Les Amants de Vérone d’André Cayatte ou Ruy Blas de Pierre Billon et Jean Cocteau avec Jean Marais et Danièle Darrieux. Lors du premier festival de Cannes en 1946, L’équipe de ce dernier film alors en tournage dans les studios de la Giudecca, est d’ailleurs invitée à participer à la Mostra comme l’attestent divers documents retrouvés dans les archives historiques de la Biennale.

Un détour par le Lido, haut lieu de la Mostra dès la première édition de 1932, me conduit sur les traces du festival vénitien. L’hôtel Excelsior, où les invités de marque arrivaient en gondole et dans les jardins duquel avaient lieu les projections jusqu’à la construction du premier Palais du cinéma en 1937, est toujours en activité. Bien que fermé durant l’hiver, sa singulière silhouette orientale de style vénitien-byzantin se détache fièrement sur le front de mer. A quelques centaines de mètres, L’hôtel des Bains, joyau de l’art nouveau et lieu traditionnel de résidence de la plupart des invités français de la Mostra, est aujourd’hui à l’abandon évoquant irrémédiablement le chef d’œuvre que Visconti y tourna en 1970 : Mort à Venise. Entre ces deux grands hôtels début de siècle, se trouvent le palais du cinéma et le Casino (construits respectivement en 1937 et 1938), l’ensemble constituant le cœur géographique et symbolique de la Mostra depuis le début des années 1930.


GIORNO 07 // ARCHIVIO DI STATO DI VENEZIA 

Lundi 4 février : les archives et la bibliothèque de la Biennale étant malheureusement fermées le lundi, je décide d’explorer les collections des archives nationales de Venise dans l’espoir d’y trouver quelques informations complémentaires sur l’histoire de la Biennale et des relations cinématographiques franco-italiennes de cette période clé des années de l’entre-deux-guerres. Situées dans un couvent franciscain du XIIIème siècle au cœur du quartier San Polo, les archives nationales de Venise sont surtout reconnues pour la richesse de leurs fonds sur l’histoire de la république vénitienne. Les fonds sur le XXème siècle ne sont malheureusement pas très fournis. Quelques rapports de la préfecture de Venise au ministère de l’intérieur italien nous donne toutefois quelques informations précieuses sur la présence française dans les diverses éditions de la Mostra. On apprend ainsi que lors de l’inauguration de l’édition de 1937 de la Mostra seules trois personnalités ont pris la parole : Edoardo Alfieri ministre de la culture populaire, le comte Volpi di Misurata président de la Biennale et… Georges Lourau représentant de la délégation française. Une photo de cette cérémonie d’ouverture, retrouvée deux jours plus tard dans la photothèque de la Biennale semble confirmer cette information. Je crois y reconnaître au milieu du groupe, Georges Lourau (costume clair, cravate à rayures et chaussures blanches)… sans certitude toutefois. L’enquête est ouverte !

En quittant les archives je constate avec surprise et inquiétude l’enfoncement inexorable de la ville… l’eau pénètre en effet à l’intérieur du bâtiment alors que nous sommes à marée basse !


GIORNO 08 // ARCHIVIO DELLO BIENNALE // CANNES-VENISE : VERS UNE COEXISTENCE PACIFIQUE ?

Mardi 5 février : Retour aux archives de la Biennale pour consulter les boîtes de la série cinema consacrées aux premières éditions de l’après-guerre (1946, 1947 et 1948). 

Après six années durant lesquelles la guerre et les bouleversements politiques ont marqué l’histoire de la Mostra, l’exposition d’art cinématographique de Venise revient sur le devant de la scène et doit cette fois faire face au projet cannois, bien décidé à prendre une place de choix dans le paysage cinématographique mondial. Que reste-t-il en 1946 du projet de Cannes 1939 ? Comment les représentants du cinéma français sont-ils accueillis à Venise en cette fin d’été 1946, quelques semaines à peine avant que ne soient lancées les festivités cannoises ? Et de quelle manière la naissance effective du festival de Cannes influence-t-elle l’histoire de la Mostra durant ces premières éditions de l’après-guerre ? Les archives de la Biennale offrent un éclairage intéressant sur cette période, elles recoupent et complètent la documentation présente dans les archives de la Cinémathèque Française. Certaines personnalités déjà présentes en 1939 continuent de jouer un rôle clé dans les relations entre Cannes et Venise (comme Pierre Michaut ou Georges Lourau), d’autre à l’image de Philippe Erlanger voient leur influence s’accroître tandis que certains noms apparaissent comme celui de Walter Borg, représentant du CNC en Italie à partir de 1946. Au fil des courriers, des télégrammes, des notes et des articles de presse consultés dans ces cartons, on perçoit nettement l’importance que revêt, dès sa première édition, le festival de Cannes aux yeux des organisateurs de la Mostra et leur conscience aigüe – en dépit des dénégations publiées dans la presse – de la nécessité de composer avec ce nouveau concurrent. Une lettre d’Elio Zorzi (nouveau directeur de la Mostra) à Mario Meneghini (journaliste à L’Espresso) datée du 2 août 1946 résume en une phrase la politique italienne vis à vis du festival de Cannes : « Nous avons pensé que ne pouvant pas supprimer le rival, il valait mieux se mettre d’accords avec lui »… 

Parmi les trouvailles du jour : une lettre de Philippe Erlanger à Elio Zorzi datée du 11 juin 1947 dans laquelle, au-delà des difficultés rencontrées pour trouver un accord entre les deux festivals, on distingue clairement les liens de sympathie entre les deux hommes et l’attachement du directeur du festival de Cannes à la Mostra de Venise à laquelle il participe régulièrement depuis 1934.


GIORNO 09 // ARCHIVIO DELLO BIENNALE // TRACES DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE À LA MOSTRA 

Mercredi 6 février : Après avoir consulté (sans grand succès) le fonds des papiers personnels d’Elio Zori, le reste de la journée est en grande partie consacré à la consultation des fonds photographiques de la Mostra auxquels j’ajoute quelques documents iconographiques, programmes, affiches, etc…

Au-delà du plaisir évident que l’on peut prendre à parcourir ces classeurs de photographies qui au fil des images font émerger le souvenir vivant d’un festival, j’ai été frappée par l’importance de l’influence française sur le festival. Ma première surprise fut de reconnaître, sur une photo légendée « réunion préparatoire de la Mostra d’Arte cinematografica » datée de 1932, deux producteurs Français : Charles Delac et Charles Gallo, respectivement Président et secrétaire général de la chambre syndicale française de la cinématographie, prouvant s’il en était besoin que le cinéma français a été étroitement associé à la Mostra et ce dès la 1ère édition.

Au-delà de la présence de représentants du cinéma hexagonale dans la cité des Doge, il est intéressant de noter l’importance du français comme langue sinon officielle du moins commune dans l’organisation et le déroulement de la manifestation. Certains lieux emblématiques du festival portent ainsi des noms français comme l’Hôtel des bains ou le Chez Vous (nom du bar-restaurant de l’Exselsior, point de rendez-vous de la presse cinématographique internationale, espace de projection et haut-lieu du festival dont la terrasse accueille les fêtes les plus brillantes de la Mostra). De manière moins anecdotique, la correspondance entre l’organisation de la Mostra et de nombreux pays étrangers se fait également en français. C’est le cas notamment avec : la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, mais également l’URSS, les Pays-Bas ou le Japon. Plus étonnant encore, dans les supports de communication (affiches et programmes), les titres des films japonais, hongrois et parfois même allemands lorsqu’ils sont traduits, le sont non en italien mais en français. Enfin, en 1939 les organisateurs annoncent que l’ensemble des films projetés dans le cadre de la Mostra le seront en langue originale mais qu’heureusement ils seront sous-titrés… en français !


GIORNO 10 // ARCHIVIO DELLO BIENNALE // CANNES-VENEZIA DANS LA PRESSE

Jeudi 7 février : Dernier jour de mon séjour de recherche, consacré à la consultation du fonds Raccolta documentaria.

Ce fonds très riche se compose principalement de revues de presses, plus ou moins organisées, et de documents imprimés divers, classées par année et par thématique. Pour chaque édition de la Mostra on trouve entre 3 et 7 boîtes de documentations émanant de la presse italienne ou étrangère. Là encore la place accordée à la presse française est de loin la plus importante, les organisateurs de la Biennale faisant appel aux services de la société française « Le courrier de la presse » qui leur transmet une très large sélection d’articles concernant de près ou de loin la Mostra. Pour les années 1939, 1946 et 1947 on trouve même un dossier spécifique « Festival de Cannes ». Le travail dans ce type de fonds est long (une boîte peut contenir plusieurs centaines d’articles), souvent répétitif (une même information est souvent relayée de façon presque identique dans quinze ou vingt titres de presse différents) mais peut parfois s’avérer très instructif. La presse en général offre un complément intéressant aux sources de première main en donnant une variété de points de vues sur le sujet ou en permettant de replacer certains éléments dans leur contexte ; elle constitue à ce titre une source considérablement pour toute recherche sur l’histoire du cinéma.

Au fil des articles et des documents consultés dans le fonds, on perçoit nettement la rupture qu’a constituée l’édition de 1938 dans l’histoire de la Mostra et la rapidité avec laquelle l’idée d’un festival concurrent sur la côte d’Azur s’est imposée dans la presse. Dès le mois de septembre 1938, moins de deux semaines après la clôture de la 6ème édition de la Mostra, l’idée d’un festival à Cannes (ou Nice) est largement reprise dans la presse française. Si la plupart des articles se montrent enthousiastes, certaines réticences se font toutefois sentir. Paul Pavaux titre ainsi dans Ciné-France : « Une Biennale française ? Non ! », n’hésitant pas à fustiger la jalousie des Français devant le succès italien et les visées mercantiles de l’industrie hôtelière de la côte d’Azur. La lecture de la presse italienne nous renseigne également sur le point de vue des éditorialistes sur le projet cannois en 1939 et sur la première édition de 1946. Paradoxalement, la presse se montre plus virulente vis à vis de ce principal concurrent que les organisateurs de la Biennale eux-mêmes qui semblent davantage conscients du fait que l’hégémonie vénitienne ne saurait durer éternellement.

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Ainsi s’achève ce séjour de dix jours dans les archives vénitiennes. Dix journées consacrées à lever un coin du voile, à entrevoir au fil des milliers de documents consultés le fonctionnement au jour le jour de cette Mostra d’Arte cinematografica contre laquelle le festival de Cannes s’est construit et qui a pourtant profondément influencé et inspiré ses organisateurs. Une autre phase du travail commence aujourd’hui, un travail d’analyse des documents, de recoupement des sources et de synthèse qui permettra d’apporter un éclairage nouveau sur l’histoire du festival de Cannes et ses liens étroits et complexes avec la Biennale de Venise.